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Photo du rédacteurSarah Adida

Beethléem, Hébron: rencontres bibliques

Premiers pas sur la terre aux multiples saintetés… J’atterris en Israël un lundi à 6 heures du matin. Ce sont des détails que l’on n’oublie pas. Une chaleur intense, déjà, lorsque je foule le sol de Tel-Aviv, alors que nous ne sommes qu’au début du printemps. Printemps : aviv, en hébreu. De Tel-Aviv, je prends directement un shérout (sorte de grand taxi collectif) pour Jérusalem, moyennant quelques shekels*. Une heure et demi seulement sépare les deux villes. Sur la carte, pourtant, ce trajet constitue la moitié de la largeur du pays !

Jérusalem, Ô Jérusalem. Avant de m’engouffrer dans les méandres de la médina vieille de plus de 2000 ans, je prends une curieuse décision. Comme on se garde du plus grand des plaisirs pour mieux le savourer, je commence par une entrée en matière. Et non des moindres…

Bethléem, ville sainte chrétienne, cité natale de Jésus de Nazareth. Ville à la symbolique puissante, résonnant de symphonies inter-religieuses à chaque coin de rue, avec le plus grand naturel. Accords pourtant souvent dysharmoniques en d’autres lieux, en d’autres temps.

A peine ma valise déposée chez mon hôte, je demande le moyen le plus rapide pour rejoindre Bethléem, sise à quelques dix kilomètres au sud de Jérusalem. Etonné que ce soit ma première destination alors que la certainement sublime vieille ville de Jérusalem m’attend, il m’indique la célèbre Porte de Damas, jouxtant l’antique cité, d’où partent tous les bus en direction des territoires palestiniens.


Bethléem la chrétienne, Bethléem plurielle


Dans l’autobus, je suis probablement l’unique étrangère et touriste. Plusieurs palestiniens, des femmes voilées et quelques hommes, semblent faire régulièrement le trajet entre les deux villes, certainement pour rejoindre leur lieu de travail en Israël. Arrivée à l’arrêt principal de Bethléem, je débarque face à une horde de taxis, marchandant aussitôt leurs services pour me faire visiter la ville. Les principaux sites touristiques étant éloignés, je réalise que j’ai besoin d’un bon guide autochtone, voire d’un protecteur… Après une rude négociation, et faisant appel à mes techniques de marchandage à la marocaine, j’obtiens un tarif honnête avec un chauffeur sympathique. Mon instinct me dit qu’il a la bienveillance nécessaire en un tel contexte.

Tout au long de notre trajet, mon guide palestinien d’origine bédouine ne tarira pas en détails sur sa vie quotidienne : « Mon nom est Jalil. Je suis taxi à Bethléem, mais je travaille aussi très régulièrement en Israël. Là-bas, on me prend souvent pour un juif israélien, à cause de mon physique de Bédouin ! Je m’entends bien avec les Israéliens, mais le plus difficile est de pouvoir aller et venir à Jérusalem : les contrôles à la douane sont pénibles », raconte-t-il. J’expérimenterai et vérifierai un peu plus tard ses dires.

Nous faisons halte dans les principaux sites historiques de la ville : place de la Crèche, place de la Mangeoire, depuis laquelle je pénètre dans la Basilique de la Nativité, reconnaissable à son architecture emblématique de l’art byzantin.

Construite au IVème siècle par l'empereur romain Constantin Ier, c’est la plus ancienne église en activité au monde. Deux millions de pèlerins viennent tous les ans, depuis le monde entier, visiter l’ancestral édifice, dont la célèbre grotte, située sous la basilique, abriterait le lieu de naissance du Christ. Prières, bougies et recueillement devant l’emplacement sacré, indiqué par une étoile en argent à 14 branches incrustée dans le sol de marbre. Un nombre impressionnant de fidèles attendent leur tour pour s’agenouiller au milieu de la minuscule grotte et pouvoir toucher la roche originelle. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO le 29 juin 2012, la Basilique de la Nativité est en cours de restauration depuis 4 ans maintenant.

Au dehors, mon guide m’indique la rue Paul VI, qui mène jusqu’au souk. Dans cette artère marquée par une grande montée en larges escaliers de pierre calcaire, je rencontre un groupe de palestiniennes, voilées de pourpre. Certainement une couleur à la mode ? Les trouvant belles, je leur demande de les prendre en photo – requête qu’elles acceptent avec une grâce teintée d’une légère timidité, bientôt effacée. Les nombreux marchands, dont les étals pittoresques et colorés jalonnent le passage, semblent surpris de voir une femme occidentale se balader seule, avec un si grand appareil photo et les cheveux lâchés au vent. Ils m’interpellent, je leur réponds d’un sourire, voire d’un « choukrane ! », qui semble les étonner encore plus !

Après une rapide visite du souk, je rejoins Jalil. Je lui demande la raison pour laquelle je n’ai rencontré que peu de touristes et encore moins d’Israéliens durant ma promenade.

« Depuis quelques temps, surtout depuis les évènements de 2014*, les touristes ont peur de se rendre en Palestine. Et rares sont les Juifs israéliens qui viennent passer un peu de temps ici comme dans un passé récent. Pourtant, aucun de ceux qui viennent n’a jamais eu de problème ni été agressé, même verbalement. Il s’agit juste du fossé créé par la peur et les évènements politiques. C’est un peu triste… », déplore mon guide.


Hébron, hautes tensions !


Nous prenons à présent la route pour Hébron. « Il n’y a pas beaucoup de touristes qui s’y aventurent, encore pour les mêmes et regrettables raisons. Beaucoup de colons juifs s’y sont installés depuis les évènements de 2014. Tout cela crée une ambiance tendue. Mais l’on peut très bien visiter ! », m’encourage Jalil.


A Hébron, se trouve en effet un site archéologique et historique de grande valeur : le tombeau des Patriarches Adam, Abraham, Isaac et Jacob, qui y seraient enterrés aux côtés de leurs compagnes respectives Eve, Sarah, Rébecca et Léa (Rachel, la seconde épouse de Jacob, elle, serait inhumée non loin de Bethléem). C’est dire si cette ville pourrait être le lieu de pèlerinage commun aux trois religions abrahamiques.


Mais, en arrivant, quelle surprise ! Une ville quasi-fantôme, comme laissée à l’abandon. Quelques rares étals de marchands palestiniens parsèment les rues. Au dessus d’eux, j’aperçois dans les ruelles sombres des sortes de filets, jonchés de déchets et d’objets en tous genres, donnant à la vielle ville des allures étranges de décharge suspendue*.

Heureusement que Jalil est là : accompagné d’un jeune homme qu’il connaît, les deux hébronites deviennent instantanément mes gardes du corps. Malgré toute ma témérité de journaliste, je n’aurais jamais osé m’aventurer seule dans ces rues abandonnées.

Jalil tempère : « C’est un jour de fête aujourd’hui : cela explique qu’il y ait un peu moins de marchands que d’habitude. » Mais tout de même, pensé-je. Pour preuve, même le tombeau des Patriarches est fermé au public aujourd’hui. Quelle malchance !

Mais je ne regrette pas ma venue. Le spectacle, bien qu’affligeant, me fait regarder la ville à travers les yeux de ses habitants. Je regarde les implantations juives, barricadées derrière de hauts murets, du haut desquels flottent des drapeaux israéliens. De loin, on aperçoit quelques soldats armés faisant leur ronde. Les colons d’Hébron, minorité juive dans une ville à majorité musulmane, sont réputés parmi les plus radicaux d’Israël, apprendrai-je plus tard. Les accrochages entre les deux communautés sont monnaie courante. Je ressens la désolation dans le regard de mes accompagnateurs, leur attachement à cette ville à l’histoire si profonde et si riche, mais malheureusement enkystée dans une tension politique et religieuse permanente…


Avant mon départ, je rencontre un jeune homme se déclarant être de la « police palestinienne d’Hébron » … Remarquant mon étonnement à la vue de sa tenue civile, il me tend une petite carte. Il me dit être le « médiateur » entre les Palestiniens et les Israéliens en visite ici. Rempli d’enthousiasme par ma venue, il me raconte ses actions afin de redonner vie à sa ville. Je suis admirative et attendrie par son courageux combat. Il tient à prendre mon contact afin de me faire revenir. Nous discutons ainsi, entourés de quelques-uns de ses amis, tels des shérifs dans une ville fantôme qui pourrait bien servir de décor à un vieux western ! Cette pensée me fait sourire tristement.

Quittant Hébron pour Jérusalem, accompagnée de mon désormais ami Jalil, je regarde les sublimes lumières de la ville de Bethléem au loin. En montant dans le bus, je lance un au revoir ému à mon guide, la tête déjà pleine de souvenirs.

Mais je pense déjà à ma prochaine étape : Jérusalem et sa vieille ville ! Enfin… Demain.


Je vous embrasse,


Sarah



1-Shekel : monnaie israélienne.

2- En juin 2014, l’assassinat de trois adolescents israéliens enlevés à Goush Etzion (entre Bethléem et Hébron) par des membres de la cellule khalilie du Hamas, sera suivi d’arrestations dans les rangs de cette dernière, provoquant des frictions entre les autorités israéliennes et la population palestinienne d’Hébron. Le Ier juillet, Mohammad Abou Khdeir, un adolescent palestinien, est brûlé vif par des extrémistes juifs, accroissant les tensions entre Israël et le Hamas. Le 8 juillet 2014, en réponse à l’intensification des tirs de roquettes vers le sud d’Israël, l’armée israélienne lance l’opération « Bordure protectrice », début de la troisième guerre de Gaza.

3- Dans la vieille ville, les filets servent à protéger les habitants palestiniens des objets jetés par les familles juives vivant au-dessus d'eux. Etant considérée comme une ville sainte par les trois religions monothéistes, Hébron focalise énormément de tensions confessionnelles et politiques.



Sarah

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