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Photo du rédacteurSarah Adida

Asile

Depuis le temps que l'on attend dans ce campement, j'avais gardé espoir. Avant, je m'étais réfugié sous le pont de la Porte de la Chapelle. Je priais chaque soir qu'on ne me trouve pas pour me forcer à rentrer au pays. Dans mon pays, que j'ai fui, il y a trois ans aujourd'hui.

Là-bas, c'est encore la guerre, et le chaos, et la tristesse, et la mort.

J'ai tout quitté. Ma famille? Je n'ai plus de nouvelles d'eux. Je prie pour eux. Ce dont j'étais sûr, c'est qu'ici, en Europe, on pourrait me secourir. On comprendrait la guerre, et la condamnation à mort dans mon pays, pour les "déserteurs".

Mais, ici, je l'ai appris, il y a des "méchants" et des "gentils". Tu crois que c'est naïf, mais c'est réel.

Ce matin, tôt, encore, les policiers sont arrivés, ils portaient d'étranges capes, on m'a dit que c'était des boucliers "anti-émeute". Émeute de qui?

"Ils ont peur qu'on se révolte"!", m'a soufflé mon ami Charles, qui habitait à Gao, au Mali.

Une révolte avec des petites cuillères, sans doute, ils ont peur.

Leur peur qui se cogne contre notre peur, ça ne donne jamais rien de bon.

Ce matin, donc, ils sont encore arrivés, bien déterminés à nous faire décamper. Ils ont fait basculer toutes nos tentes, certaines ont été déchirées. Ils ont pris des couvertures, qu'on nous avait données. Je me suis vraiment demandé pourquoi ils en avaient besoin. Ce n'est qu'après que j'ai réalisé que c'est peut être juste qu'on les gênait. Nous, les apatrides, nos corps et notre voix, nos énergies et nos origines, doivent disparaître de leur vue.

Quand des camarades de fortune levaient la tête pour protester, ils se prenaient un coup de bâton. Moi, je n'ai rien dit. Je les ai juste regardés, ces hommes. Au fond, ils ne devaient pas être méchants. Mais dans leurs yeux, sur le moment, il y avait une dureté de robot, une opacité du cœur. Comme un voile fermé sur toute l'humanité en eux.

C'est tout le contraire des "gentils". La différence avec eux, c'est qu'ils ne travaillent pas pour l'État. Eux, ils nous apportent des vêtements et des tentes. De la nourriture et parfois quelques médicaments. Il paraît qu'ils s'appellent des "militants" qui s'organisent en associations. J'ai rencontré des êtres humains incroyables parmi eux.

Alors c'est ça, l'Europe. Des forces contraires d'êtres humains, qui ont reçu des ordres différents. Chacun est dans sa sphère d'obéissance, et ça donne des étincelles quand on les rapproche. On a essayé de m'expliquer que c'est l'État français qui avait pris de nouvelles dispositions pour les migrants. On a essayé de m'expliquer la circulaire Collomb, qui devait faire le tri dans tout ça. Pas le tri dans les papiers, le tri dans les êtres humains.

On a essayé de m'expliquer que ça allait devenir vraiment plus compliqué de trouver un asile ici. Je me suis demandé ce que j'aurais fait à la place des Français qui ont pris cette décision. Moi, un jour au pays, un de mes voisins avait vu sa maison périr dans les flammes. Lui et ses enfants ont eu très peur. Ils sont sortis indemnes et sont venus dans ma cahutte. C'était pour moi naturel. Ouvrir une porte face au danger. Je dis ça peut être, vous allez penser que c'est pas une comparaison, mais... Mon pays était en feu, j'ai eu très peur, et je suis parti. En arrivant ici, je pensais qu'on m'ouvrirait la porte, comme la cahutte de mon pays.

L'autre jour, je m'étais arrêté à côté du métro, pas loin de notre camp, et certains réfugiés attendaient là. Ils n'avaient pas où aller, pas de camp ni de centre d'hébergement d'urgence. Un policier est arrivé, et leur a dit de partir. Ça devait faire désordre. Ils ont demandé: "Partir où?"

Le policier était très énervé. Il leur a dit:

"Partez, là, partez!"

C'est tout. Leurs corps était indisposant, peut être, pour le policier.

Alors ils sont allés à la station de métro suivante. Et ils ont encore attendu.

L'autre jour, au centre d'hébergement, j'ai pu regarder un peu la télévision, et ça tombait bien parce que c'était justement le jour où le grand Président Emmanuel Macron parlait de nous!

Il s'était déplacé jusqu'à Calais pour ça. Les collègues autour le fustigeaient, ils disaient que tout ça, c'était de sa faute, si on n'avait pas encore d'asile, ni de papiers. Certains attendaient comme ça depuis des années dans le centre. En l'écoutant, il n'avait pas l'air bien méchant. Je dirais même le contraire: humain, je vous jure.

Il disait qu'il fallait accueillir les migrants "dignement, mais fermement". Il s'est adressé aux policiers, aussi, en saluant leur travail. Ben ça, on peut confirmer qu'ils bossent. Mais pas exactement dans le bon sens.

Le beau Président (parce qu'il est vraiment beau, c'est vrai) a été parler à des exilés du Soudan dans un centre. De leur pays en guerre, ils ont fui et abandonné leur femme, leurs enfants. Il les a écoutés, et à la fin, il leur a dit quelque chose comme: "On ne pourra pas accueillir tout le monde, et pourtant, c'est là qu'il ne faudra pas céder à l'émotion."

Cette phrase, j'ai eu du mal à la comprendre. L'émotion, ce serait donc une sorte de faiblesse? L'émotion, ce serait alors l'humanité?

Je ne suis pas très intelligent, mais ce que je sais, c'est qu'on ne peut pas être à la fois humain et inhumain. Vouloir aider et ne pas vouloir aider. Être absent et être présent. Sur le joli visage du président, je n'arrivais pas à lire ce qu'il voulait vraiment. Ou bien finalement, je le savais mais, comme lui, je ne voulais pas l'admettre.

Ma maison était en feu, tout ce que je voulais, c'était subsister. J'ai fui la maison en feu, j'ai réussi à en réchapper. Mais cet autre combat, ici, il est plus compliqué. Ce sont des démons et des administrations plus complexes que le feu des canons.

A ceux qui se cachent derrière la complexité, et les délais, et les renvois forcés en avion vers un pays en guerre. à ceux qui ont décidé de ne plus écouter la voix qui résonne en eux.

J'aimerais leur dire que ce ne serait qu'une autre vie, un autre jour, ensemble au paradis.

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