Quand le surmenage s’installe dans nos vies, on peut faire le choix radical d’une retraite spirituelle dans le berceau du yoga, l’Inde. J’ai passé un mois dans l’école de Shiva Yoga Peeth à Rishikesh, l’une des plus réputées et des plus exigeantes, pour l’obtention du certificat de professeur de yoga.
Rishikesh, Inde, 5h30
Les brumes matinales sur le fleuve du Gange se dissipent peu à peu tandis que le jour pointe à peine. Dans la quiétude de l’aube, l’atmosphère ésotérique est exaltée. Nous sommes installés en position de lotus dans la salle de pratique du yoga. Des images représentant Shiva, la divinité indienne célébrée par les yogis, sont placées sur le sol ainsi que des bougies, de l’encens, des fleurs, des épices et des mixtures d’herbes inconnues. Les professeurs entrent et s’installent en cercle autour des préparations au rite. Ils s’apprêtent à ouvrir la nouvelle session d’entraînement pour l’obtention du certificat de professeur de yoga de l’école de Shiva Yoga Peeth, l’une des plus réputées de Rishikesh, la capitale internationale du yoga. Le « swami », moine qui dirige l’école, et les professeurs, lancent tour à tour des herbes, des fleurs et des morceaux de bois dans le brûleur en chantant, face aux regards médusés de mes camarades, venus du monde entier pour 28 jours de recueillement et de perfectionnement de leur pratique. Les enseignants de yoga exerçant dans ces ashrams sont en effet réputés comme étant les meilleurs au monde.
N’est pas yogi qui veut
Dès l’arrivée, l’emploi du temps est affiché : démarrage tous les jours à 5h30 ! Fin des cours : 20 heures. Oups. Retraite, oui, repos, non.
« J’espère que vous vous êtes bien reposés avant de venir ! », nous lance avec un gentil sourire l’un des professeurs de l’école.
Premier cours à 5h30 : le Pranayama, « respiration » en indien. Swami entre dans la salle et s’assied en lotus, les mains jointes. Il nous invite à faire trois « Om » tenus plusieurs secondes avant de commencer. Il s’agit ici d’apprendre les différentes techniques de respiration yogi, comme respirer uniquement avec le ventre ou en utilisant une narine à la fois.
Interloqué par ce premier cours, je me dirige avec les autres vers la salle de réfectoire où auront lieu tous nos repas. Le cadre est très sommaire, austère et invite à l’humilité. Les futurs yogis se servent de porridge (flocons d’avoine cuits), de différentes graines ou haricots exotiques et de fruits, accompagnés d’un thé aux herbes ayurvédiques. Vegan, sans sucre, sans œufs ni caféine ! Idem au déjeuner et au dîner : crudités, riz, lentilles (ou dal, en indien), tofu, haricots, préparations inconnues à base de yaourt ou de noix de coco et quelques naans légers. Sans poisson, sans viande, sans œufs, sans pain. Ce sera notre quotidien durant un mois. Je me demande si je vais bien pouvoir tenir le coup sans mon sacro-saint café du matin !
Les cours se succèdent à un rythme soutenu. Yoga bien sûr, entre Hatha, stretching et Ashtanga yoga. Le déverrouillage des muscles est ardu et après un démarrage plutôt gentil, chaque cours de la semaine accélère le rythme et demande de plus en plus d’efforts. Nous ressortons à chaque fois trempés de sueur, la température extérieure de 34°C aidant. Philosophie, anatomie et méditation font aussi partie de l’apprentissage. « La philosophie est indissociable de la pratique », m’explique SuShant, le professeur, un yogi à l’aura énergétique troublante. L’enseignant de méditation, Sri Shantanu, surpasse les autres par son austérité. Le défi est de taille : rester assis et méditer en silence pendant une heure. Mais aussi rire ou pleurer tous ensemble en laissant notre corps s’exprimer. L’énergie de groupe est ici primordiale. Et je ne cesse de penser qu’il faut beaucoup de détachement pour se laisser aller à se genre d’exercices de « lâcher prise »…
« You have to surrender »
Cette retraite s’avère être une véritable épreuve pour le corps et le mental. Jour après jour, je lutte contre la fatigue, les maux de tête, les levers matinaux, le changement de cadre de vie et de nourriture. Les nuits souvent très chaudes, 30 à 32°C, ne me donnent que peu de repos… Au cours de la première semaine, avec seulement 3 ou 4 heures de repos par nuit, je craque et fonds en larmes dans le bureau de notre gérante (et infirmière à ses heures), Gothami. Je suis à deux doigts d’abandonner. Elle me réplique avec une douceur incomparable :
« Il est normal de ressentir des douleurs et des accès d’émotions. Ce sont les toxines qui s’évacuent. Repose-toi un peu, demain ira mieux », me rassure Gothami, à l’écoute des états d’âme de chacun.
Tous ne parviennent pas à relever le défi.
« Il y a deux catégories d’étudiants, m’expliquera par la suite SuShant, ceux qui « s’abandonnent », qui lâchent prise, qui acceptent le rythme et la discipline exigée, l’austérité et l’humilité nécessaires pour venir à bout de la formation, ce que nous enseigne en partie la philosophie yogi. Et puis il y a ceux qui n’acceptent qu’à moitié, qui vont manger à l’extérieur de l’Ashram et prennent le risque de tomber malade, qui ne rentrent pas dans l’austérité et l’humilité. » Certains, ne supportant ni le cadre parfois éprouvant de Rishikesh, ni le rythme intense des journées, plient bagages en cours de stage.
SuShant me répète en anglais : « You have to surrender » (tu dois t’abandonner).
Après quelques jours d’adaptation difficiles, je semble atteindre cet état que mon maître décrit. A la fin de la première semaine, je me sens allégée d’un poids, celui des toxines évacuées par les nombreux cours de yoga et la méditation. Le samedi, je me sens même merveilleusement bien. Et chanceuse aussi : autour de moi, beaucoup de membres du groupe tombent malade, sans doute à cause du changement de rythme et de nourriture. « La satisfaction de ce que l’on a et de ce que l’on fait est l’un des piliers de la philosophie yogi, avec l’austérité, la propreté extérieure et intérieure grâce à la pratique du yoga », rappelle SuShant en cours de philosophie.
Semaine, une, deux, trois… yogi !
Les jours se suivent. Les leçons nous forgent suivant une discipline difficile mais que l’on sait bénéfique. Au dehors, malgré le cadre un peu rustique et rude des rues de Rishikesh, où l’on peut côtoyer autant de vaches, singes et chiens que d’êtres humains ( !), le fleuve du Gange nous offre des vues absolument magnifiques empreintes de spiritualité. Certains yogis s’y baignent chaque jour. Je relève le défi avec mes camarades, en plongeant, comme le veut la tradition, 11 fois successivement, symbole de purification. Notre groupe, au gré des souffrances ressenties et exprimées souvent en fin de semaine en cours de méditation, se soude et tisse des liens bien plus forts et rapides qu’en temps « normal » ! Certains éprouvent beaucoup de difficultés, tombent malades durant plusieurs jours, et partagent leurs douleurs et émotions. Pour d’autres, le chemin est plus léger, mais jamais facile.
De mon côté, je ne cesse d’osciller entre jours où je ressens une vitalité incroyable, un corps et une énergie nouvelle, comme réinitialisée. Et des jours « down » : fatigue, baisse de moral, émotions en pagaille, et pour couronner le tout, la mousson indienne qui fait rage au dehors.
Tout au long de ce parcours du combattant rudement mené, je réalise que l’entraide entre camarades est ici primordiale. Réviser entre deux cours, partager les connaissances, avoir un regard positif sur l’autre, se soutenir en cas de baisse de moral, de maladie… Chacun est attentionné et si bienveillant envers l’autre, alors que nous ne nous connaissons que depuis quelques jours ! La cohésion du groupe en sauve beaucoup de l’abandon.
Au cours de la dernière semaine, des examens pour faire de nous de vrais enseignants du yoga s’ajoutent à l’emploi du temps habituel. A la fin du stage, nous devrons connaître les chakras, les notions de Yama (moral) et de Niyama (devoirs) et les différents Pranayama et Asanas (respiration et poses).
Ca y est ! Le moment tant attendu est arrivé ! A l’issue des quatre semaines de formation, les professeurs nous distribuent nos certificats de réussite. Grand moment d’émotion après tous ces efforts !
Nous revêtons nos saris et déposons des fleurs et des bougies sur le Gange en remerciement.
Comme me l’avait dit SuShant, le confort de mon ancienne vie me semble bien superficiel. Je ne ressens qu’une intense joie et une paix profonde d’avoir réussi ce challenge. Après toutes ces journées d’efforts, ces réveils matinaux, cette austérité et humilité que je me suis imposées… Ces vertus venues de l’extérieur ont tout à coup pris place à l’intérieur, amenant avec elle une paix et une reconnaissance nouvelles. Je me sens pleine de gratitude, à l’issue de cette expérience, et pour longtemps, envers chaque présent que la vie peut offrir. Comme si tout apparaissait sous un nouvel angle : être en bonne santé est inouï, avoir un corps qui te permette de pratiquer des activités, de travailler, est un cadeau, être entouré de personnes aimantes et bienveillantes est une chance rare. Voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide !
« Tout ceci, tu le dois à Rishikesh : c’est cette ville sainte qui te choisit pour que tu viennes et non pas l’inverse ! », me lance mon professeur dans un grand sourire.
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